La dernière

          Un de mes textes préférés né d'une réflexion sans fondement... celles qui ont le plus de sens.

 

                                      La dernière

 

   Cette fois-ci on y était! Elle sentait se dissoudre ses dernières forces. Sa volonté vacillait devant l'innomable adversité. La lutte s'avérait définitivement inégale!

   Adieu l'aubaine. Finies l'insouciance et la vie facile. Il lui suffisait de regarder autour d'elle pour s'en convaincre. La mort dardait son museau cruel. Impitoyable.
   Et dire que tout avait si bien commencé!

   Pourquoi tout cela n'avait-il pu durer? Qu'importait donc qu'il y ait un début et une fin? D'autres qu'elles déroulaient une bien plus belle existence!
   "Certaines ne mouraient pas", prétendait-on. Difficile d'y croire!

   "C'est ainsi!", chuchota la voix sentencieuse du vent.

   Une perle d'eau ruissela, balaya son corps.

   Ne manquait que la pluie!

   Sa peau, autrefois souple et soyeuse, s'était asséchée, craquelée, et présentait les vilaines taches rousses de l'âge. Certaines commençaient même à virer au noirâtre. La décrépitude s'était annoncée si galopante que peu d'entre elles avaient su la capter comme telle.
    Un frisson si semblable aux émois de jeunesse. Un simple tressaillement de tout le corps. Si proche du plaisir que toutes avaient souhaité qu'il dure, dure, et dure encore. Aussi émouvant que la caresse d'une brise de printemps. Aussi tendre que la douceur d'un balbutiant soleil de mai.

   Las! Stupides qu'elles s'étaient montrées! Elles n'avaient rien vu venir. La tendre gifle figurait le premier coup de griffe porté à leurs vies insouciantes. Un simple prémice des cuisantes douleurs à venir.

   Comme elle regrettait de n'avoir perçu sur l'instant le triste chant empreint de mélancolie du tocsin. Les premières larmes ressenties furent les dernières baignées de plaisir. Toutes celles qui devaient leur succéder portaient le sceau du funeste présage.
   Bientôt ne survécut qu'un seul désir : tenir, s'accrocher, résister, survivre à l'inéluctable.
   Le plus longtemps possible!

   Facile à dire bien sûr. Mais à vivre!

   Subir un peu plus chaque jour le froid aussi mordant qu'un loup enragé. Garder présent à l'esprit le sentiment de résistance les jours injustes de rémission. Ne pas sombrer dans la noire déprime des jours aigüisés par le gel lorsque la méchante lame aux dents affütées cherche à trancher le dernier lien qui vous cheville à la vie.

   Combien en avait-elle vu des comme elle se laisser aller, ivres de fatigue et tremblantes de désespoir? Et combien en était-il restées encore au matin?
   Pas une!

   Nulle n'en réchappait.

   Toutes disparaissaient emportées dans le tourbillon impitoyable du temps qui passe et ne sait rien pardonner.

   Oh, c'était tout bénéfice pour celles qui restaient, campées dans leur lutte, tenaces et volontaires. Quitte à passer pour folles. De la place en plus, un espace dégagé pour mieux jouir des quelques rares instants sinon d'espoir tout au moins de réconfort.

   Mais pour combien de temps encore? Qui saurait le dire!

   Combien étaient-elles dans l'insouciance de leur jeunesse? Des centaines? Des milliers plutôt!
   Les plus volages avaient succombé les premières. Pas de place pour les rêveuses et les dilettantes. D'autres les avaient quittées encore plus tôt iniquement arrachées à leur jeunesse tout juste florissante dans un vacarme cataclysmique.

   La faute à qui? Pourquoi? Mystère!

   Inexplicable sentence de ce monde hostile. Cela n'avait pourtant servi de leçon à personne.

   Pourquoi admet-on si aisément le malheur qui frappe les autres?

   Il est vrai qu'une révolte n'eut pas varié d'un iota le droit chemin vers la mort. Le destin faisait partir farouches comme dociles.
   Grandes ou grosses, petites ou minces, s'étiolaient d'identique manière. Plus ou moins vite constituait la seule différence. S'insurger rallongeait le calvaire mais un combat perdu d'avance est-il un combat juste?

   Les perles d'eau ravageaient sa peau craquelée. Un vilain frisson de vent la fit trembler comme jamais auparavant. Sa vie ne tenait plus qu'à un fil. Il était vain de se raconter des histoires : l'heure du départ s'annonçait. Les crédits étaient épuisés. Toutes ces places vides autour d'elle le dénonçait de manière très éloquente.

    Que signifiait sa lutte? À quoi rimait-elle à présent? Était-ce si important de résister et résister encore?
   Elle finirait comme les autres, balayées dans un dernier souffle et par l'infernale machine qui menait sarabande depuis tant de jours.
   Quelle gloire tirerait-elle en menant ce combat à son paroxysme? Connaîtrait-elle pour autant une mort plus fastueuse, des obsèques plus retentissants? Certainement pas!
   Fi des leurres présomptueux! Qu'on en finisse une bonne fois pour toutes et que se taise l'insupportable verbiage vaniteux proféré à longueur de journée par les oiseaux de mer.
   Il suffisait de si peu. Se tourner à peine pour donner prise à la mort puis se laisser glisser, mener au plus bas vers l'ultime caresse, sombrer à jamais dans l'oubli du néant.

   Convaincue du bien-fondé de son renoncement, elle laissa ses fibres s'amollir. Abdiquer toute résistance ne lui réclama aucun effort.

   Le souffle suivant, un peu soutenu, l'arracha à la vie sans un cri. La mort se révéla plus douce qu'elle ne l'avait imaginé. Elle glissa lentement. Sans crainte ni remords.

   Elle ne serait pas la dernière. D'autres plus fortes lui survivraient.

   Tant pis? Tant mieux? Elle ne connaîtrait jamais la réponse.

   Mais était-ce si important d'être la dernière feuille accrochée à l'arbre.

 

Date de dernière mise à jour : 13/12/2015

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Commentaires

  • Janus
    • 1. Janus Le 19/05/2015
    Très belle chute, vraiment. Mais, en l'occurrence, le sujet le méritait. L'envie nous prend alors de relire la nouvelle à la lumière de cette révélation, goûtant alors toutes les subtilités du texte, tout en sachant que nous serons dorénavant privé de la surprise finale. Bref, afin de ne pas totalement déflorer le sujet, un beau texte sur le retour à la terre. Merci pour cette lecture.
  • BHW
    • 2. BHW Le 04/04/2017
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